Laurence Faguer, spécialiste du retail, repère les innovations marketing américaines et aide les entreprises françaises à les implémenter avec succès. Après sa visite au salon Internet Retailer Conference + Exhibition (IRCE) à Chicago, nous avons souhaité l’interviewer pour appréhender les dernières nouveautés, voir ce qui fait le succès de certaines marques, ce qui a évolué depuis la NRF…
Quelles sont les nouvelles du front retail venues de Chicago ? Y a-t-il une différence notable par rapport à la NRF de Janvier ?
Laurence Faguer : 4 mois après la NRF, on assiste à une réelle prise de conscience des retailers. D’après le groupe bancaire Credit Suisse, un mall sur quatre va disparaître aux Etats-Unis d’ici 2022 (soit au total 275 malls), ce qui a de quoi les inquiéter. Après la phase de prise de conscience, les magasins doivent réagir. Le commerce en ligne a doublé en 5 ans aux Etats-Unis pour atteindre 12,7 % du commerce global en 2016 (hors essence, automobiles, et restaurants).
Mais la contre-attaque est en marche. Sur ces 4 jours de conférences à IRCE, une journée entière fut consacrée à la thématique : « Comment battre Amazon ? ». Amazon, le grand absent de tous les salons retail, qui est néanmoins au cœur de toutes les conversations.
L’enseignement que l’on peut en retirer ? La personnalisation sera ce qui va sauver les magasins. Cette personnalisation passe avant tout par la collecte et l’utilisation de toutes les datas, et la réconciliation du on et du offline, permettant de se servir du online pour générer des ventes en on et off. Mais elle ne doit pas s’arrêter là : la personnalisation doit aussi s’exercer au niveau de la relation client et des services proposés, qui seront eux aussi des éléments déterminant dans la lutte, sachant que les outils existent déjà.
Un exemple lié à la livraison : le nouveau site de Valentino va pouvoir différencier, dans une même commande en ligne, les 3 articles à livrer à domicile, et le 4ème article, que la cliente préfèrera récupérer dans son magasin préféré dans les deux heures : la personnalisation à l’intérieur de livraison.
La marque qui vous a le plus bluffé sur l’expérience client ?
LF : Ulta Beauty qui utilise la connaissance client pour faire venir en magasin.
En 2017, alors que les fermetures de magasins sont légion, cette chaîne, qui en possède 990 aux U.S., projette d’en ouvrir 100 nouveaux ! Son secret : la personnalisation pour une expérience client sur mesure.
Ulta Beauty (qui est depuis 2015 la plus grande enseigne spécialisée en beauté aux U.S.) a bien compris les enjeux de la personnalisation et a su la mettre en œuvre. Ils ont fait des choix en terme d’implantation – principalement dans des malls en périphérie plutôt qu’au coeur des villes – et de positionnement – un mixte entre marques de grande distribution (mass) et marques haut de gamme (prestige) – et d’offres de services autour de la beauté afin de tout réunir sous un même toit, y compris un coiffeur ou un salon esthétique. Le but : fidéliser.
Ensuite Ulta Beauty a mis en place plus récemment, une réelle stratégie omnicanal. Les achats se font très majoritairement en magasin (seulement 8,6 % des membres du Programme Fidélité sont des acheteuses omnichannel) mais les clientes recrutées sur le web sont tout de suite incitées à venir en magasin. Un point important puisque chez Ulta, une cliente multicanal dépense 2,5 fois plus qu’une personne qui n’achète qu’en magasin.
L’application mobile joue un rôle majeur dans la relation client personnalisée. Elle se présente comme un « mini store » entièrement dédié à la cliente, avec une foison de services, d’offres, d’avantages et d’exclusivités à shopper immédiatement, réactualisés en permanence pour faire revenir dans l’appli. Et bien sûr on trouve aussi dans cette appli la carte de fidélité intégrée (avec ses points et récompenses à transformer en réduction immédiate), une carte de paiement Ulta et un Store Locator géolocalisé.
Enfin il y a leur programme de fidélité, qui compte 24,5 millions de membres (en hausse de 26 % sur un an), qui a su séduire puisque 90 % des ventes sont faites par les membres du programme. On imagine derrière ce programme toute la connaissance client acquise, pour toujours mieux personnaliser.
Le champion de la fidélité cette année ?
LF : Sephora US dont l’appli joue la continuité des parcours online et magasin pour créer de la fidélité.
80 % des clientes Sephora aux Etats-Unis utilisent le mobile avant ou pendant la visite en magasin (430 magasins aux US). L’appli Sephora, nous a expliqué Mary Beth Laughton, SVP Digital chez Sephora U.S., n’est pas un simple device mais un réel outil de fidélisation. Par exemple, la cliente y trouve, quand elle est loin d’un magasin, la disponibilité des articles par magasin, son historique d’achat avec les références précises des produits achetés, ses points fidélité acquis, l’agenda des cours maquillage et animations qui ont lieu dans son magasin ; elle reçoit des notifications adressées selon la géo-localisation et peut utiliser un Chatbot sur Facebook Messenger pour réserver un beauty service dans une boutique Sephora. A tout moment elle accède à du contenu exclusif et des ventes « early access » réservées aux utilisatrices de l’appli. En magasin, elle peut utiliser un scanner pour accéder à du contenu additionnel, comme l’évaluation du produit et des avis de clients.
La dernière nouveauté lancée en juin : une version enrichie de l’appli Sephora Virtual Artist, pour appliquer virtuellement la quasi totalité des produits cosmétiques et voir l’effet avant de les acheter. Des millions de clients ont essayé cette fonctionnalité AI depuis son lancement en 2016.
La cliente de Sephora US utilise différemment son appli, selon le moment : la recherche produit est faite sur l’appli avant la visite in store. Une fois dans le magasin (tous les magasins sont équipés de wifi) l’appli mobile sera la complice qui, par exemple, annoncera à la cliente qui franchit la porte les évènements qui ont lieu à cet instant précis.
La stratégie de Sephora US pour faire venir les clientes en boutique via l’appli mobile repose sur 3 piliers : « Teach, Inspire, Play ». Tout est pensé services et digital, rien n’est laissé au hasard, tout est mesuré.
De plus, il faut garder en tête qu’aux U.S. la carte de fidélité n’est pas simplement une manière de cumuler des points pour obtenir des réductions, c’est aussi et surtout un support de communication, une clef pour plus de services.
Les algos sont parmi nous ?
LF : Le premier exemple est Stitch Fix, un site ecommerce d’abonnement de vêtements créé en 2002 qui a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 730 millions de dollars. Un succès directement lié à la data via l’exploitation d’algorithmes.
Le modèle repose sur un moteur algorithmique qui sélectionne les vêtements à envoyer, après analyse de centaines de données liées au client, notamment les vêtements que celui-ci a choisi de garder ou renvoyer. Le caractère auto-apprenant des algorithmes permet de calculer un score de probabilité d’achat par article extremement fiable. Et là où Stitch Fix prend de cours tout le monde, c’est que toutes les directions métier (marketing, logistique, achat) utilisent des algorithmes. Stitch Fix, dans une démarche Open que savent si bien faire les Californiens, livre toute la secret sauce dans ce post. Par exemple pour la livraison des produits, ce sont des algorithmes qui vont choisir de faire partir le colis de tel entrepôt en fonction de multiples paramètres. Et désormais la division Produit est aussi impliquée : Stitch Fix vient de lancer sa propre marque de vêtements entièrement conçue sur la base d’algorithmes, pour le choix couleurs, des matières, des coupes…
Autre exemple de box gérées par des algorithmes : Kidbox. Après avoir complété un profil en ligne, les parents reçoivent quelques jours plus tard une box personnalisée pour leur enfant, sur la base de ce qu’ils ont renseigné. Libre ensuite à eux de garder les articles ou de renvoyer tout ou partie de la commande, ce qui alimentera l’algorithme de nouvelles data et lui permettra d’affiner encore davantage la sélection. L’utilisation de la data science dans la sélection d’articles se développe de plus en plus.
Data-driven businesses, info ou intox ?
LF : Prenons un exemple concret d’une solution utilisée par les marques et qui démontre que à peu près tout est « data-driven ». Cet exemple, c’est First Insight. Grâce à des modèles d’analyse prédictive qui étudient les données de milliers de consommateurs collectées en ligne, il est possible aux distributeurs et marques de savoir quels produits concevoir, et à quel prix, à 2 mois versus 6 mois pour les cabinets de style. Les marques n’ont plus qu’à tester à petite échelle les prédictions avant le déploiement.
Des tendances retail discrètes, mais incontournables ?
LF : Sans hésiter je dirais la Vidéo et le Mailing programmatique personnalisé.
La vidéo prend une ampleur énorme, avec deux dispositifs performants. D’une part les e-mailings qui embarquent désormais de la vidéo, ce qui était techniquement peu fiable il y a encore deux ans, avec des performances bien supérieures. D’autre part, la vidéo programmatique qui permet de détecter un comportement en ligne et de recibler cette personne avec une vidéo personnalisée sur le produit vu. Quand au Mailing programmatique, il s’agit là aussi de repérer sur son site un comportement, et d’adresser une carte postale à la personne qui n’a pas acheté dans les 24 à 36 heures.
La boutique à visiter absolument à Chicago ?
LF : Under Armour, toute entière tournée vers la personnalisation.
Car derrière la vitrine technologique – et la multitude d’outils connectés pour mesurer sa performance sportive – se cache une obsession de chaque instant de personnaliser la relation client. Under Armour s’appuie sur trois piliers stratégiques :
- La Concierge numérique : Under Armour propose dans son appli une expérience shopping personnalisée, dont le client est le co-créateur. Au téléchargement, il indique pour qui sont principalement destinés ses achats (homme, femme, garçon, fille), il choisit dans une liste pré-établie les athlètes à suivre, les sports qui l’intéressent. Ce centre de préférence, que l’on retrouvait déjà il y a trois ans dans l’appli McDonald’s US, contribue à façonner une expérience en one-to-one unique, avant même d’utiliser les autres applis de la galaxie Under Armour, liées aux objets connectés
- Le Content data-driven: tout le contenu dans l’application est segmenté sur le profil du client. Exemple, les recommandations produits en page d’accueil reflètent les sports pratiqués par l’utilisateur de l’appli.
- L’engagement du client, qui se matérialise par une série de services qui fidélisent à l’appli : la mémorisation des records sportifs personnels, une incitation à évaluer ses achats récents…
Et Amazon dans tout cela ?
LF : Ah, une visite à Amazon Books et on se dit qu’Amazon a encore une fois… tout compris !
Amazon a ouvert 7 Amazon Books aux Etats-Unis. Celui de Chicago ressemble, à première vue, à une librairie classique, mais en s’approchant un peu, on s’aperçoit que tout a été repensé et que finalement tout est différent. Tout d’abord, 100 % des clients possèdent l’appli, car sans appli on ne peut rien faire.
- le merchandising : livres sur étagère présentés de face
- une sélection basée sur les préférences en ligne locales
- le code barre du livre (oui, un code barre chez Amazon !) pour lire les avis clients
- pas de prix visible : disponible uniquement via l’application
- des vendeurs attentifs et attentionnés
- une fois l’article choisi, pas de passage en caisse puisque tout passe par l’appli. (Même si, pour être tout à fait exacte, il existe une caisse…)
Ce store permet également à Amazon de présenter et mettre en avant tous ses devices, dont Echo & Alexa. Mais surtout, ce store est géré comme du online : toutes les datas sont collectées et analysées (du parcours dans le magasin jusqu’au paiement) grâce à l’application. Un magasin qui préfigure le futur du retail !
À propos de Customer Insight
Customer Insight est un cabinet de conseil opérationnel qui repère les innovations marketing américaines et aide les entreprises à les implémenter avec succès en France. Notre méthodologie s’appuie sur une recherche terrain aux Etats-Unis des meilleures solutions et technologies tournées ROI, sur vos sujets du moment, facilement transposables à la France et aux résultats prouvés.
Contact presse Customer Insight :
Laurence Faguer
+33 (0)6 12 83 39 28
lfaguer@customer-insight.fr – @lfaguer
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