Pour sa 4ème édition, le GreenTech Forum a une nouvelle fois démontré sa capacité à rassembler les acteurs clés du numérique responsable. Plus de 120 intervenants se sont réunis pour débattre des principaux enjeux du secteur : réglementation, achats responsables, intelligence artificielle, gestion des données, et bien d’autres sujets essentiels. Une nouvelle thématique dédiée aux collectivités territoriales a également été abordée, témoignant de l’importance grandissante du numérique durable pour les acteurs publics.
Ce constat est partagé par Tristan Vuillier, Responsable des offres Sustainability chez Devoteam, pour qui le GreenTech Forum a révélé « un écosystème en pleine maturation dans le secteur du Green IT ». En effet, le numérique responsable prend une place de plus en plus importante dans l’économie du numérique, avec une croissance de 38% enregistrée en 2024.
On notera que la data est maintenant au coeur des stratégies numérique responsable, aux côtés des enjeux d’acculturation et de gouvernance. Dans cette optique, Devoteam était présent aux côtés de la CNAM pour témoigner de la démarche de mise en place d’un bilan carbone numérique basé sur la solution Sopht.
Impacts environnementaux du numérique : le temps de l’action
La conférence plénière d’ouverture a réuni Numeum, l’ARCEP et l’ADEME pour un état des lieux des enjeux du numérique responsable. Comme l’a expliqué Véronique Torner, présidente de Numeum :
« Sans numérique, il n’y a pas de souveraineté. Sans numérique, pas de compétitivité. Sans numérique, pas de réindustrialisation possible. Sans numérique, pas de simplification de l’état. Et enfin sans numérique, pas de transition environnementale », pour autant le numérique se doit d’être responsable.
Une position appuyée par Laure de la Raudière, présidente de l’ARCEP, pour qui « Il faut remettre en cause les fonctionnalités superflues des services numériques ».
L’ARCEP, le régulateur des télécommunications en France, s’intéresse en effet depuis 2019 à l’impact environnemental du numérique, en collaboration avec l’ADEME. Bien que le numérique apporte de nombreuses solutions pour la transition écologique, son empreinte carbone est préoccupante et devrait tripler d’ici 2050 si rien n’est fait. Le numérique représente déjà 10% de la consommation électrique en France, un chiffre qui ne cesse d’augmenter avec l’essor de l’IA.
Face à ce constat, l’ARCEP appelle à une démarche de sobriété numérique, en promouvant l’éco-conception des services numériques. C’est à dire rendre les services plus efficients, afin de réduire la consommation de ressources (équipements, centres de données, réseaux) nécessaire à leur fonctionnement. L’ARCEP a ainsi publié avec l’ARCOM et l’ADEME un référentiel général d’éco-conception des services numériques, qu’elle souhaite voir s’appliquer à l’échelle européenne.
Du côté de l’ADEME, Sylvain Waserman a souligné que le numérique apparaît aussi comme une clé pour relever de nombreux défis environnementaux. Des exemples concrets le montrent : le covoiturage rendu possible par les plateformes numériques, l’optimisation de l’utilisation des pesticides grâce à l’intelligence artificielle, ou encore les solutions d’effacement diffus pour mieux gérer les pics de consommation électrique.
Cependant, le numérique a aussi un impact environnemental important, qui ne cesse de croître. Les data centers, par exemple, soulèvent des enjeux de conflits d’usage sur les ressources en eau et en électricité. L’ADEME considère donc que le Green IT, c’est-à-dire la recherche d’un numérique plus durable, doit devenir une priorité stratégique pour les acteurs du secteur.
C’est dans ce contexte que l’ADEME travaille activement, avec une équipe dédiée, sur des sujets comme l’éco-conception des services numériques. L’objectif est d’aider l’industrie du numérique à se différencier en démontrant qu’il est possible de développer des technologies, comme l’IA, de manière responsable sur le plan environnemental. Cela permettrait de créer un avantage concurrentiel, d’autant plus que les achats publics intégreront bientôt des critères environnementaux obligatoires.
De la mise en œuvre technique à la gouvernance stratégique du numérique responsable
Les conférences et ateliers du Green Tech Forum 2024 s’articulaient principalement autour de deux grands axes stratégiques. Le premier axe s’est concentré sur les aspects opérationnels et techniques du numérique responsable, abordant des sujets cruciaux tels que la mesure de l’empreinte environnementale, la mise en place de parcs informatiques durables, et l’optimisation des datacenters. Une attention particulière est portée aux innovations technologiques comme l’IA, l’open source (RISC-V, RUST) et la cybersécurité, ainsi qu’aux retours d’expérience concrets d’organisations comme la RATP, France Travail et la CNAM dans leur transformation numérique responsable.
Le second axe était davantage orienté vers la gouvernance et la stratégie, explorant le cadre réglementaire en évolution (notamment la CSRD), les nouveaux modèles d’affaires, et l’implication des parties prenantes. Les ateliers ont abordé également des questions fondamentales comme la conciliation entre innovation et sobriété numérique, la gestion des données, et l’engagement des différentes fonctions de l’entreprise (Finance, RSE, RH, Commercial, Marketing) dans la stratégie numérique responsable. Une dimension internationale était présente avec des analyses comparatives au niveau européen et mondial, notamment sur les enjeux de la filière réparation et l’approvisionnement en matériaux.
L’analyse de Tristan Vuillier
Le Green Tech Forum a mis en lumière une évolution significative de la maturité des acteurs de l’écosystème, avec la mesure et la data comme pierres angulaires de cette transformation. Cette dynamique s’inscrit dans une volonté plus large de positionnement européen, offrant à Devoteam l’opportunité de jouer un rôle clé dans l’établissement de standards communs et l’accompagnement des organisations à l’échelle européenne.
Au-delà des aspects techniques, le forum a souligné l’importance cruciale de la conduite du changement au sein des DSI pour intégrer pleinement le Numérique Responsable dans tous les métiers. Cet enjeu majeur nécessite un travail de fond dès la phase de conception des projets, visant à prévenir l’accumulation de dettes techniques, environnementales et sociales, plutôt que de devoir les corriger a posteriori.
La mesure de l’empreinte environnementale du numérique
La table ronde dédiée à la question de la mesure de l’empreinte environnementale du numérique a réuni des intervenants de Boavizta, WeDoLow et de l’ADEME. Boavizta, qui rassemble 250 spécialistes de l’impact du numérique, a mené un chantier sur l’impact du cloud. Les principales conclusions montrent que le cloud est le troisième poste d’impact environnemental du numérique, après le poste workplace et les data centers. Mais de nombreuses entreprises peinent encore à mesurer cet impact, notamment à cause du manque de transparence des données fournies par les fournisseurs de cloud.
La mesure de l’empreinte environnementale du numérique progresse, avec des avancées réglementaires et méthodologiques, mais des défis restent à relever, notamment sur l’éco-conception, le changement d’usages et la transparence des données fournies par les acteurs du numérique.
Adel Nourredine, de l’Université de Pau, a travaillé sur le développement d’outils et des modèles pour mesurer et estimer la consommation énergétique à différents niveaux de l’écosystème logiciel – du code source aux équipements connectés en passant par le cloud. Selon lui, les principaux défis sont la grande hétérogénéité du matériel et la variabilité des logiciels, qui rendent la mesure énergétique plus complexe que les mesures de performance classiques. Deux avancées prometteuses sont identifiées : la mesure fine au niveau du code source et les modèles pour optimiser le renouvellement du matériel dans les data centers.
Quelques pistes d’actions prioritaires évoquées par l’ADEME :
- Allonger la durée de vie des équipements informatiques (ordinateurs, serveurs, etc.) en les réparant et en privilégiant le reconditionnement plutôt que le renouvellement
- Limiter le nombre d’équipements, par exemple en évitant les doubles ou triples écrans
- Favoriser la sobriété dans les usages numériques énergivores (IA, vidéo, etc.)
- Sensibiliser et former les équipes pour les impliquer dans ces démarches
Néanmoins, Boavizta a souligné que malgré les bonnes intentions, les équipes RSE et IT font face à un certain « burnout » et peinent à transformer les engagements en actions concrètes. Le défi est de trouver le bon équilibre entre résultats immédiats et pratiques plus durables. Chez WeDoLow, Justine Bonnot a confirmé que la majorité de leurs clients les sollicitent encore davantage pour améliorer la performance technique des logiciels que pour en réduire l’empreinte environnementale. Cependant, des initiatives émergent, comme le travail mené avec le CNES pour optimiser la consommation d’énergie de leurs logiciels. Les solutions existent, mais leur mise en œuvre reste encore un défi pour de nombreuses organisations.
L’analyse d’Ophélie Souvanthong
Le Green Tech Forum a révélé un écosystème en pleine maturation dans le secteur du Green IT, rassemblant un panel diversifié d’acteurs allant des institutions aux éditeurs de solutions, en passant par les cabinets de conseil et les organismes de formation. La montée en puissance notable des acteurs du reconditionnement et du réemploi, stimulée par les réglementations sur l’économie circulaire, témoigne d’une dynamique positive. Le niveau de maturité des clients finaux reste contrasté, avec des précurseurs comme la SNCF ayant initié leur démarche dès 2020, tandis que d’autres entreprises commencent tout juste à explorer le sujet.
Les échanges lors des ateliers et conférences ont mis en lumière deux défis majeurs du secteur. D’une part, la nécessité de passer d’une approche expérimentale, basée sur des POCs à périmètre restreint, à une véritable industrialisation des pratiques Green IT à grande échelle. D’autre part, l’émergence croissante de l’open source comme réponse pertinente aux enjeux de partage de connaissances, de mutualisation des ressources et de transparence. Cette tendance vers l’open source souligne une volonté collective de construire des solutions durables et auditables pour l’ensemble de l’écosystème.