La transition écologique s’impose aujourd’hui comme un enjeu prioritaire pour l’ensemble des acteurs de la tech. Dans ce contexte, l’IA, dont l’usage connaît une croissance exponentielle, soulève des interrogations quant à son impact environnemental. Lors du Green Tech Forum 2024, une table ronde a réuni des experts pour dresser un état des lieux et partager les meilleures pratiques en matière d’IA responsable et frugale.
Les participants ont notamment souligné le rôle essentiel des pouvoirs publics dans la régulation du numérique, et la nécessité d’une approche systémique impliquant l’ensemble des acteurs. Ils ont également mis en lumière des initiatives comme le développement de modèles de données et d’infrastructures écoresponsables. Cet article revient sur les principales conclusions de cette table ronde capitale pour l’avenir de l’intelligence artificielle.
L’empreinte environnementale de l’IA : des outils de modélisation innovants
Face à l’évolution rapide des technologies d’intelligence artificielle, la modélisation l’impact environnemental de l’IA représente un défi majeur. Chez Publicis Sapiens, Vincent Villet a développé un modèle open source permettant d’évaluer l’empreinte environnementale des systèmes numériques en amont de leur déploiement.
Cette solution s’appuie sur des données publiques de l’ADEME, en collaboration avec Boavizta. Le modèle permet une analyse approfondie du fonctionnement des systèmes numériques, intégrant l’étude des courbes d’utilisation et des parcours utilisateurs. Il évalue également les besoins en serveurs et fournit une estimation précise de l’impact carbone des services développés.
L’impact variable selon les types d’IA
Les modélisations réalisées ont mis en lumière des disparités significatives selon les usages de l’IA. L’analyse révèle que l’IA générative appliquée à l’image et à la vidéo présente un coût environnemental particulièrement élevé.
En revanche, les applications basées uniquement sur le texte montrent un impact nettement plus modéré. Un point encourageant mérite d’être souligné : l’efficacité énergétique des systèmes s’améliore rapidement, offrant aujourd’hui des performances supérieures pour une même consommation qu’il y a un an.
Le référentiel IA frugale : une initiative gouvernementale
Le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD), à travers son bureau Innovation DataIA de l’Ecolab, a développé avec l’AFNOR un référentiel pour l’IA frugale. Ce cadre de référence, accessible gratuitement, s’articule autour de trois phases cycliques essentielles.
La phase amont constitue une étape critique où l’équipe évalue la pertinence même de l’utilisation de l’IA. Cette réflexion initiale implique une analyse approfondie des alternatives possibles et guide le choix du modèle le plus approprié.
Durant la phase de développement, l’accent est mis sur l’optimisation des données. Les équipes procèdent à une sélection rigoureuse des données pertinentes et maintiennent une analyse continue des performances pour garantir l’efficacité du système.
La phase post-projet permet de capitaliser sur les apprentissages réalisés. Elle inclut la mise en place d’une gouvernance dédiée à la frugalité et encourage l’amélioration continue des pratiques. Cette dernière étape est cruciale pour l’évolution des projets futurs.
IA responsable : Applications concrètes dans les territoires
Le programme France 2030 illustre l’engagement gouvernemental en finançant des projets d’IA frugale dans les territoires. Ces initiatives visent notamment la décarbonation des bâtiments, s’attaquent aux enjeux de préservation de la biodiversité ou contribuent à la réduction des fuites d’eau.
Ces projets, portés par des entreprises émergentes en étroite collaboration avec les collectivités locales, démontrent qu’il est possible de concilier innovation technologique et responsabilité environnementale. Ils créent une synergie vertueuse entre le développement économique local et les objectifs de durabilité.
La nécessité d’une expertise double
A noter également, l’importance cruciale de combiner expertise en IA et compétences en numérique responsable. Les data scientists et ingénieurs IA, traditionnellement concentrés sur l’optimisation financière, intègrent désormais systématiquement les considérations environnementales dans leur approche.
Cette évolution des pratiques professionnelles illustre la transformation nécessaire du secteur, où l’excellence technique doit s’accompagner d’une conscience écologique accrue. Cette double expertise devient un standard incontournable pour le développement responsable de l’IA.
Limiter le volume des échanges
L’impact environnemental de l’intelligence artificielle générative se mesure notamment à travers du volume d’utilisation des tokens. Lors des interactions avec les modèles d’IA, le volume de données échangées influence directement les coûts financiers et la consommation des ressources. Par exemple, une conversation de 30 à 50 échanges avec une IA générative correspond à une consommation d’eau d’environ 500 ml.
Approche responsable du développement de l’IA
Les experts soulignent qu’il n’est généralement pas nécessaire de créer de nouveaux modèles d’IA pour répondre aux besoins des clients. En effet, 95% des cas d’usage peuvent être couverts par les modèles existants, comme GPT, qui ont déjà été entraînés sur d’immenses volumes de données. Pour optimiser les réponses, plusieurs solutions sont possibles :
- L’ajout de jeux de données spécifiques pour affiner les réponses
- L’utilisation du RAG (Retrieval-Augmented Generation) permettant d’exploiter les bases documentaires de l’entreprise
- L’optimisation des prompts pour réduire le nombre d’échanges nécessaires
Infrastructure et data centers
L’utilisation de l’IA repose sur une infrastructure cloud conséquente, représentée par environ 8000 data centers dans le monde. Selon les projections de l’Agence internationale de l’énergie, leur consommation énergétique en 2026 équivaudra à celle du Japon entier.
Innovation en matière de data centers responsables
Des solutions innovantes émergent, comme l’illustre l’exemple d’Infomaniak en Suisse :
- Data centers sans climatisation
- Installation en sous-sol pour minimiser l’impact paysager
- Système de revalorisation de la chaleur :
- Conversion de l’énergie électrique en chaleur
- Utilisation de pompes à chaleur connectées au réseau de chauffage urbain
- Refroidissement des serveurs par le flux froid généré (28°C)
- Chauffage de 6000 ménages à l’année
Toutefois, l’impact environnemental reste significatif :
- Un serveur représente 1,7 à 2,5 tonnes équivalent CO2
- Chaque GPU génère 112 kg équivalent CO2
Rôle des politiques publiques
Face aux enjeux environnementaux du numérique, les politiques publiques apparaissent comme un levier essentiel de régulation. L’État endosse un double rôle de prescripteur et de tiers de confiance, permettant d’impulser et d’accompagner la transformation des pratiques. Son action s’inscrit principalement dans le cadre réglementaire européen, considéré comme l’échelon pertinent pour le marché commun.
À l’échelle nationale, l’État agit également comme facilitateur, notamment en coordonnant des initiatives comme celle menée avec l’AFNOR, où il rassemble les acteurs engagés pour définir collectivement les standards du numérique responsable.
Vers une vision raisonnée de l’IA
Les participants à la table ronde ont convergé vers une vision pragmatique du rôle de l’intelligence artificielle dans la transition écologique. Ils soulignent qu’il serait illusoire de considérer la technologie comme une solution miracle aux défis environnementaux actuels. L’IA doit plutôt être envisagée comme un outil parmi d’autres, dont l’utilisation doit être soigneusement évaluée au regard de son empreinte environnementale.
Conclusion
L’évolution vers un numérique plus responsable nécessite une prise de conscience collective et une action concertée. Au-delà des améliorations techniques et des innovations dans la gestion des infrastructures, c’est l’ensemble de l’écosystème numérique qui doit se transformer.
Cette transformation implique une collaboration étroite entre les entreprises qui développent et déploient les solutions, les pouvoirs publics qui établissent le cadre réglementaire, et les utilisateurs dont les pratiques doivent évoluer. C’est uniquement à travers cette approche systémique que pourra émerger un modèle numérique véritablement compatible avec les enjeux environnementaux.