En matière de sobriété numérique, le climat évolue au sein des entreprises comme chez les fournisseurs de services. Le sujet est à l’agenda des principaux Cloud providers, qui rivalisent de déclarations sur la sobriété de leurs infrastructures, mais qu’en est-il réellement au sein de l’écosystème du numérique et des entreprises ? Malgré les bonnes intentions, la sobriété numérique reste encore mal appréhendée : les données sont insuffisamment partagées, les outils de mesure ne sont pas standardisés, et l’accès aux expertises est difficile bien qu’elles soient nombreuses.
Selon The Shift Project, la croissance de nos systèmes numériques est insoutenable, avec +9 % d’énergie consommée par an (chiffres 2020). Les entreprises, comme leurs collaborateurs, leurs clients, leurs partenaires, sont en demande d’actions favorisant la sobriété numérique, pourtant aujourd’hui, en dehors des initiatives individuelles, le sujet n’est pas vraiment géré dans sa globalité. En dehors des pratiques les plus évidentes, comme l’arrêt des machines non utilisées, les outils manquent encore pour estimer l’empreinte carbone de ses services. Si les principaux Cloud providers ont commencé à rendre disponibles certaines données via les API, ces données ne fournissent qu’une vision incomplète.
Prendre en compte l’efficience énergétique dès la conception
Dès la phase d’architecture des services, notre rôle en tant que conseil est de mettre en place une méthodologie mixant différents patterns d’architecture, de l’efficience financière à l’efficience énergétique, et de conseiller le client au plus proche de ses besoins. Pour construire une même application, plusieurs choix d’architecture sont possibles, tous sont valides dans l’absolu, mais ils varient dans la typologie des services utilisés, dans les capacités de performances ou de résilience qu’ils vont apporter à l’application. Cependant, le rôle du conseil est justement de donner au client l’ensemble des éléments lui permettant de prendre une décision éclairée. Toutes les applications ne sont pas critiques, et il n’est pas toujours nécessaire de pousser tous les curseurs de résilience ou de disponibilité au maximum.
Datacenter ou Cloud ?
Ces derniers mois, les Cloud providers ont largement communiqué sur l’efficacité énergétique de leurs infrastructures. Cependant, si la réalité n’est peut-être pas au niveau des annonces (jusqu’à 5 fois plus efficace selon AWS), car l’efficacité énergétique peut varier d’un datacenter à l’autre, force est de constater que les ressources des Cloud providers sont de toute façon plus optimisées du point de vue électrique que la majorité des datacenters existants. Les principaux fournisseurs, Microsoft, Google ou AWS opèrent plusieurs centaines de datacenters, des millions de serveurs et donc la moindre économie de 10 watts sur chaque serveur représente un enjeu financier énorme. Les trois Cloud providers investissent en conséquence en recherche et développement pour optimiser la consommation de leurs serveurs et des infrastructures de datacenter, avec une gestion de l’alimentation conçue spécifiquement pour ces usages.
Néanmoins les datacenters classiques ne sont pas pour autant en reste, puisque l’on peut aussi calculer l’empreinte carbone de leurs machines et de leurs infrastructures. Nous proposons par exemple, en partenariat avec VMware, des audits de quantification de l’empreinte carbone du Datacenter, pour ensuite évaluer la capacité de rationalisation et d’optimisation de l’empreinte carbone. Le plus souvent, 10 à 20% des ressources ne sont pas utilisées et une part plus importante est sous-utilisée. Dans ce cas, quelles sont les options d’optimisation ? Il est par exemple possible de préconiser une période d’observation de 3 à 6 mois, afin d’identifier les ressources qui peuvent être éteintes, ou décommissionnées. Consolider la charge, la répartir sur un nombre réduit de serveurs, et les instancier sans intervention humaine en cas de pic, est également possible maintenant on premise, comme sur les infrastructures Cloud.
L’impact de l’applicatif
Plusieurs études le mentionnent, l’infrastructure informatique ne représenterait que 5% de la consommation énergétique. La sobriété numérique doit donc s’envisager sur l’ensemble du cycle de vie de l’application. Là encore, des outils (comme Fruggr.io) existent et permettent de mesurer l’impact du développement, sa qualité, sur la consommation énergétique. Pour chaque connexion, quelle quantité de données transite par le réseau ? Les bonnes pratiques comme l’optimisation du poids des images, par exemple, ne sont pas encore généralisées. Applications et pages web peuvent être auditées pour évaluer leur empreinte et dégager des pistes d’amélioration.
Le choix d’un référentiel
Si les outils de mesure de l’empreinte carbone ont le mérite d’exister, les métriques et les composantes des calculs ne sont pas encore complètement standardisées. Petit à petit, on va vers une convergence des référentiels, cependant il n’y pas d’uniformisation de la mesure chez les principaux Cloud providers. AWS ou Google propose des outils et des métriques, mais le plus souvent on ne connaît pas la base de calcul utilisée, ni ce qui est réellement intégré dans le calcul. Par exemple, la localisation du Datacenter peut fortement impacter l’empreinte, selon que la production électrique soit renouvelable, carbonée ou nucléaire. De nombreux facteurs peuvent ainsi faire varier le calcul, d’où le besoin de définir des normes auxquelles l’ensemble du marché se conformera.
Le rôle du conseil
En attendant une uniformisation des mesures, notre rôle de conseil est aussi de contribuer à l’accélération du temps de développement des projets. Sur des sujets nouveaux, comme Kubernetes, où l’écosystème est complexe, la phase exploratoire d’un projet peut prendre entre 18 et 24 mois, en l’absence d’expérience du sujet en interne. Ce travail exploratoire, nous le faisons sur des phases courtes, où l’expertise de nos collaborateurs nous permet de déployer des applications en production en moins de 6 mois. Les équipes internes sont onboardées de manière à pouvoir ensuite assurer la continuité applicative.
Enfin, notre travail est aussi d’accompagner nos clients dans la formalisation de leur démarche. La sobriété numérique est un sujet sur lequel il faut dépasser le stade des bonnes intentions, au risque de tomber dans le “green washing”. Transparence sur les intentions, pédagogie dans l’application, évangélisation des bonnes pratiques sont des étapes nécessaires mais non suffisantes : il faut aussi auditer l’existant, se fixer des objectifs de réduction des consommations et définir les KPI. La démarche de sobriété numérique doit être mesurable au-delà de la déclaration d’intention.